Aurore
«Aujourd’hui tu t’es levé pour moi, muet sur les mers écumantes ; ton amour et ta pudeur se révèlent à mon âme écumante.
Tu es venu à moi, beau et voilé de ta beauté, tu me parles sans paroles, te révélant par ta sagesse :
Ô que n’ai-je deviné toutes les pudeurs de ton âme ! tu es venu à moi, avant le soleil, à moi qui suis le plus solitaire.
Nous sommes amis depuis toujours : notre tristesse, notre épouvante et notre profondeur nous sont communes ; le soleil même nous est commun.
Nous ne nous parlons pas parce que nous savons trop de choses : – nous nous taisons et, par des sourires, nous nous communiquons notre savoir.
N’es-tu pas la lumière jaillie de mon foyer ? n’es-tu pas l’âme sœur de mon intelligence ?»
Avant le lever du soleil, Troisième partie, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), Friedrich Nietzsche
Il est de ces allégories qui nous font aimer, non, aduler, la littérature, la philosophie, toutes ces sciences que l’on nomme à juste titre humaines. J’imagine ces poètes de tous temps, debout face à l’aurore, à ce jour qui se lève, que Homère, premier de nos aèdes, imaginait en rose. Déjà, il personnifiait ce jour naissant lui attribuant des doigts qui soulevaient délicatement ce voile qui nimbe le monde & qui sépare le jour de la nuit. Quand Nietzsche s’intéresse à ce phénomène chaque jour renouvelé, à cette aube naissante pétrie de promesses, il l’imagine tel un ami, un double, un alter ego près duquel on se réveille, on se révèle & à qui l’on parle en confiance sans parler justement. Les mots sont parfois inutiles pour dire l’indicible. Il suffit d’un regard, d’un sourire pour jauger la profondeur de l’âme & les promesses qui y sont secrètement renfermées. Heureux sont ceux qui ont trouvé sur leur chemin «l’âme soeur de leur intelligence». Fût-elle humaine, mortelle ou bien fût-elle universelle et infinie comme cette aurore qui se déverse chaque matin dans nos esprits chagrins, qui délivre son aura régénérante qu’aucune publicité ne pourra nous vendre. On se réfugie alors en littérature, on relit nos poètes, ces mots bien sentis qui sonnent à nos esprits, ces images implicites qui délivrent à elles seules leur magie intrinsèque. On se love dans les pages, les brouillons & tous ces manuscrits griffonnés en un jour qui rime avec toujours, avec l’éternité.
Florence
(Merci à Benjamin pour la citation de Nietzsche reprise ici partiellement)