Les êtres de papier
Je me suis souvent demandée ce que serait ce monde si les êtres de papier venaient à l’habiter. Comment ferions-nous, si, au détour d’une rue, nous croisions un Alceste, un Cyrano ou un Figaro goguenard ? Quelle serait notre réaction si nous voyions débarquer dans notre modeste troquet le chapeau emplumé d’un mousquetaire ou d’une duchesse sortie tout droit des pages de la Recherche ? Craindrions nous le regard persistant de Vautrin, l’acharnement de Javert, la folie hagarde de Chabert ? Entamerions-nous une discussion avec Bardamu, distillant à l’envi une prose colorée ?
Pourtant, ces êtres de papier me sont si familiers que j’ai eu bien souvent l’impression de les croiser. Au détour d’une ruelle, battant le pavé, il me semble bien avoir un jour distingué le costume râpé du jeune Rastignac, le pourpoint de Valmont ou le parfum séducteur d’Octave Mouret. Entrant chez un vieux confiseur, j’avais cru reconnaître les bons gros bourgeois de Labiche: Perrichon, Fadinard, Malingear & Fourchevif se disputaient une pièce montée filée en sucre.
Point de limite à mon fantasque délire qui chaque jour édite une nouvelle grammaire, un nouveau précis de la littérature revisité par mon imaginaire absurde. Je me souviens avec émotion d’un de nos professeurs, spécialiste de Balzac, qui, tellement nimbé du sujet de son étude avait pris les traits, à son tour, d’un des personnages de la Comédie Humaine.
Les Illusions Perdues se jouent au détour de chaque vie. Parfois, il me semble vivre un rêve. Des êtres irréels entrent vraiment dans ma vie & pour dire jusqu’où va ma folie, je les attends matin...